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Patrick Patrick, quand les footballeurs se chaussaient en Vendée
Quand les footballeurs se chaussaient en Vendée.
Dans le panthéon des icônes du sport français, il y a des prénoms noms que tout le monde connaît : Michel, Zinédine, Kylian. Et puis il y en a un autre, celui d’une star plus discrète : Patrick. Non, nous ne parlons pas de Vieira ou Evra, mais bien de la marque de sport vendéenne emblématique qui a su conquérir les cœurs et les pieds de générations d'athlètes et d'amateurs de sport. Retour sur une success-story made in France.
C’est une Madeleine de Proust pour quiconque ayant joué au football dans les années 70 et 80. Les crampons Patrick. De fines chaussures noires, ornées de deux bandes diagonales blanches, devenues iconique bien avant les trois bandes d’Adidas. Patrick, c’est la success story d’une petite entreprise vendéenne, qui fabriquait ses chaussures en France, dans le village où elle avait été fondée, et qui a fini aux pieds de Kevin Keegan, Ballon d’Or en 1978 et 1979, et surtout de Michel Platini, le Roi du football français des années 80.
Marqueurs d’une époque, celle où les cheveux étaient longs et les shorts très courts, les chaussures Patrick racontent aussi comment le savoir-faire à la française a permis à une entreprise familiale de prospérer à l’international pendant plusieurs décennies.
On parle là d’un temps que les moins de 160 ans ne peuvent pas connaître. 1867 : Paris accueille l’exposition universelle, les plans de la Tour Eiffel commencent tout juste à être élaborés, mais surtout, un certain Eugène Bénéteau nait dans la commune de La Flocellière, en Vendée. Dans la famille Bénéteau, on est cordonnier et sabotier de génération en génération. Alors, très jeune, le petit Eugène apprend le métier de cordonnier après de son papa, Jacques.
Quand ce dernier décède en décembre 1889, Eugène, alors âgé de 22 ans, reprend les rennes de la cordonnerie familiale, à Pouzauges, petit village vendéen. Mais tenir une cordonnerie n’est visiblement pas le rêve d’Eugène Bénéteau, qui voit les choses en plus grand. Voilà donc qu’en 1892, il décide de fonder sa propre usine de chaussures et de cuir, toujours à Pouzauges. 1892 est décidément une année charnière pour lui, puisque son premier fils, Patrice, nait au mois de septembre.
Pendant une vingtaine d’années, l’usine de confection d’Eugène Bénéteau tourne à plein régime et devient une référence dans toute la région. Pour entretenir la lignée familiale, Patrice Bénéteau est à son tour formé au métier dès son plus jeune âge. Et au début des années 20, désormais fringant trentenaire, Patrice Bénéteau reprend l’usine de son papa. Une légende veut alors que Patrice ait commencé à fabriquer des chaussures pour l’équipe de football locale. Il fit un si bon travail que le mot se répandit vite et d’autres équipes vinrent taper à sa porte.
Comprenant qu’il pourrait exploiter ce filon du sport, Patrice Bénéteau commence à produire également des chaussures et des vêtements pour la boxe, le cricket, l’athlétisme et le cyclisme. Il change alors le nom de l’usine en « Manufacture de chaussures sports Patrice Bénéteau » et baptise sobrement sa première marque de chaussures de sports ‘Patrice’. Une publicité dénichée dans une revue du début des années 30 nous apprend qu’il utilisait aussi un autre nom de marque, ’Kirtap’ (Patrik à l’envers) pour ses chaussures dédiées aux loisirs et aux travaux tels que les sabarons, les sandalettes et les botillons fourrés.
Mais c’est bien la marque ‘Patrice’ qui va obtenir le plus grand succès, aussi parce que Patrice Bénéteau est un visionnaire. Au cours des années 30, il est parmi les premiers à découvrir l’effet du sponsoring de vedettes sportives, une stratégie qui sera à la base du succès grandissant de la marque après la Guerre. C’est aussi à cette période, vraisemblablement en 1932, que Patrice Bénéteau a introduit des bandes diagonales sur ses chaussures pour les renforcer à l’avant et à l’arrière et ainsi éviter que le cuir ne se déforme. Des bandes qui rappellent évidemment celles utilisées plus tard par Adidas, mais que l’on ne s’y trompe pas : Patrick a bien été le pionnier dans cette technique.
Le patron était très proche de ses équipes, il venait régulièrement donner une poignée de mains aux travailleurs.
Au sortir du conflit mondial, en 1945, Patrice Bénéteau prend la décision de changer le nom de sa marque, en transformant ‘Patrice’ en ‘Patrick’. « A l’international, Patrice faisait un peu trop ‘féminin’ et c’était plus difficile à prononcer, et donc Patrick a été choisi car c’était un nom qui avait du corps » avait raconté Charles Bénéteau, petit-fils de Patrice, dans un reportage diffusé sur France 3 Régions.
Le nouveau nom est réceptif à toutes les langues et va permettre de promouvoir et d’exporter la marque dans le monde entier. L’usine est alors devenue le véritable centre névralgique du village de Pouzauges. Dans cette manufacture « très familiale, on y faisait la coupe, la piqûre, le montage, le semellage et la finition, » avait raconté Marie-Jeanne, pouzaugeaise qui y a passé toute sa vie professionnelle, dans un reportage Ouest France en 2019. « Le patron était très proche de ses équipes, il venait régulièrement donner une poignée de mains aux travailleurs ».
Les années 50 marquent un nouveau chapitre pour la marque vendéenne. Patrice Bénéteau est en effet rejoint dans l’entreprise par deux de ses trois fils, Michel et Charles, qui prendront bientôt sa succession. La marque innove régulièrement, au point de convaincre Roger Piantoni, buteur du FC Nancy et de l’équipe de France, de devenir le porte-étendard de la marque. Piantoni, qui fera ensuite les beaux jours du Stade de Reims avec des Patrick aux pieds, est le premier d’une longue listes de sportifs qui vont, au cours des années, représenter la marque.
Le second sera le rugbyman Robert Poulain, qui a carrément collaboré avec la marque pour créer la ligne Patrick – Robert Poulain, particulièrement adaptée à la pratique du rugby. Au cours des années 60, ce sont Jacques Anquetil et Raymond Poulidor, les deux meilleurs cyclistes français de l’époque, qui se chaussent en Patrick. La firme pouzaugeaise est alors devenue le leader du marché des chaussures de sport en France. Pendant cette période, Patrick employait 700 personnes en Vendée (réparties entre l’usine des Lilas à Pouzauges et celle de Chavagnes-les-Redoux, inaugurée en 1965) et produisait jusqu’à 800 000 paires de chaussures de sport annuellement.
À l’époque, on n’avait pas les moyens de se payer des équipes de football donc on prenait des joueurs et on ne pouvait pas les prendre en France car c’étaient des contrats collectifs, contrairement à l’étranger où ils étaient individuel.
Mais le meilleur était encore à venir. C’est véritablement dans les années 70 et 80 que Patrick va connaître son âge d’or. « À l’époque, on n’avait pas les moyens de se payer des équipes de football donc on prenait des joueurs et on ne pouvait pas les prendre en France car c’étaient des contrats collectifs, contrairement à l’étranger où ils étaient individuels, se remémore Charles Bénéteau, fils de… Charles Bénéteau, pour une interview à France Bleu. On signait donc avec des Français qui jouaient ailleurs, mais pas seulement puisqu’on équipait aussi Kevin Keegan (Ballon d’Or en 1978 et 1979). » Les pubs avec Keegan sont d’ailleurs devenues mythiques, notamment celle où le joueur de Liverpool montre ses semelles en gros plan, avec le slogan accrocheur « Le Roi se chausse en Vendée ».
40 years ago today, I got a commission-only sales rep job selling the finest football boots available. Mexican border to Bakersfield. As a recent immigrant, I jumped at the chance to prove my worth to my adopted homeland. Keegan Golds ( 🦘leather) Stabils, Platini Supers… pic.twitter.com/za8LD7nyTO
— Peter Moore (@PeterMooreLFC) August 2, 2022
D’un Roi à un autre : en 1982, c’est au tour de Michel Platini de devenir la tête de gondole de Patrick. L’Irlandais Liam Brady, le Danois Michael Laudrup et Jean-Pierre Papin firent également partie des visages de la firme. Ces collaborations avec des figures éminentes du monde du sport permirent à la firme française de demeurer compétitive malgré l’essor de Puma et Adidas, les deux nouveaux géants (allemands) du secteur à cette période. En 1984, à son prime, Patrick produit jusqu’à 2 millions de paires par an et en 1985, les chaussures ‘Michel Platini’ sont élues meilleures chaussures de football de l’année lors d’un référendum Onze Mondial.
Malheureusement, la concurrence des marques étrangères, les déjà citées Puma et Adidas, mais aussi Nike, Reebook ou encore New Balance, devient de plus en plus compliquée à gérer pour Patrick. La puissance de frappe de ces acteurs dépasse largement celle de la firme vendéenne qui, malgré une forte croissance depuis des décennies, a de plus en plus de mal à rivaliser.
Le déclin est tellement vertigineux que dès 1987, soit seulement deux ans plus tard, Patrick est obligé de déposer le bilan. « La société Patrick SA, l’un des principaux fabricants français de chaussures de sport, vient de déposer son bilan auprès du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon. La société, qui emploie cinq cents personnes, a réalisé un chiffre d’affaires de 321 millions de francs en 1986. Cent salariés avaient déjà été licenciés il y a quelques mois. L’entreprise bénéficiera de la procédure du règlement judiciaire. » peut-on lire dans Le Monde du 17 septembre 1987.
Tous nos distributeurs en Europe étaient très contents quand on a signé avec Nantes. En Europe, tout le monde connaissait Nantes, c’était un des clubs français les plus réputés.
Grâce à la procédure du redressement judiciaire, qui permet à une entreprise de pouvoir continuer ses activités sous la supervision d’un administrateur judiciaire, Patrick va notamment signer un contrat de deux ans avec le FC Nantes, dont il devient l’équipementier pour la période 1988-1990. « Tous nos distributeurs en Europe étaient très contents quand on a signé avec Nantes, rembobine encore Charles Bénéteau. En Europe, tout le monde connaissait Nantes, c’était un des clubs français les plus réputés. »
C’est véritablement à partir de là que Patrick décide de se lancer à fond dans le textile. « On avait créé pour l’occasion une des premières lignes de produits, shorts, maillots, survêtements, avec les couleurs du FC Nantes et le logo du club » avance encore Charles Bénéteau. Mais la fin du partenariat avec les Canaris marque le début d’un long tunnel pour Patrick, qui devient, au cours des années 90, une marque désuète, ringardisée par tous les acteurs du secteur. Et même le partenariat avec Jean-Pierre Papin, signé en 1994, ne lui permet pas de redorer son image.
Il faut attendre les années 2000 pour que Charles Bénéteau ne décide de répartir quasiment de zéro. Bienvenue à la nouvelle stratégie : le chef d’entreprise abandonne la fabrication en Vendée. Au lieu de cela, il rassemble une équipe restreinte de huit membres et collabore avec deux bureaux de stylistes, l’un en France et l’autre au Royaume-Uni. La production est désormais entièrement externalisée vers sept fabricants situés en Chine, au Vietnam et en Indonésie. « Nous avons du recréer toute la gamme de produits, a raison de 200 références par collection » assure le patron.
En 2008, l’entreprise est reprise par le groupe belge Cortina, spécialisé dans la fabrication de chaussures « Casual » et en 2012, après 22 années d’absence, Patrick fait son retour dans le monde du football professionnel, en annonçant un partenariat de cinq ans avec l’En Avant Guingamp. Plus de 130 ans après qu’Eugène Bénéteau a fondé une usine de chaussures et de cuir à Pouzauges, Patrick tient toujours debout. Et évoquera toujours de chaleureux souvenirs à tous ceux qui ont enfilé une paire de ces mythiques crampons noires à bandes blanches.