Histoire de maillots
ARGENTINE 1986 L’incroyable histoire du maillot argentin face à l’Angleterre en 1986
L’incroyable histoire du maillot argentin face à l'Angleterre.
Oubliez un peu le Diego de la Mano de dios et de son but en cerf-volant cosmique… Le célébrissime quart de finale Argentine-Angleterre du dimanche 22 juin 1986 recèle une autre histoire dans l’Histoire : celle des maillots de l’Albiceleste portés ce jour-là !
C’est une légende qui débute au soir du lundi 16 juin, tout de suite après le huitième de finale remporté par l’Argentine contre l’Uruguay (1-0). Le sélectionneur argentin, Carlos Bilardo, constate que le second maillot de l’équipe, le bleu avec lequel ses gars ont battu la Celeste, pèse un poids excessif, trempé de la sueur et de la pluie qui s’était abattue sur le stade de Puebla. Rien à voir avec le classique maillot « first », aux habituelles bandes ciel et blanches !
Car, à la demande expresse de Bilardo, Le Coq Sportif, équipementier de l’Argentine, avait fourni un maillot premier très spécial, « confectionné avec la technologie dite Air-Tech, connue sous le nom de ‘nid d’abeille’, avec des dizaines d’orifice minuscules qui évitaient que la transpiration ne s’accumule et que, au fil des minutes, son poids ne grandisse », détaille Andés Burgo dans le livre 22 Juin 1986 : Maradona devient immortel.
La technologie Air-Tech du maillot first ciel et blanc, porté au premier tour contre la Corée du sud, l’Italie et la Bulgarie, n’avait pas été étendue aux deux autres jeux de maillots, version visiteurs, de couleur bleue ou blanche. Or, le match Argentine-Angleterre à venir du dimanche 22 juin va permettre à l’Albion de jouer avec son maillot blanc. Les Argentinos au maillot ciel et blanc trop clair devraient donc enfiler leur second maillot, le bleu, pesant et étouffant. Et la rencontre face aux Anglais est programmée à midi. Sous l’enclume solaire…
Carlos Bilardo, un malade mental obsédé par chaque détail infime qui pourrait faire gagner son équipe au Mundial, décrète l’état d’urgence, quasiment en mode la victoria o la muerte. Comme Le Coq Sportif n’aura pas le temps de produire des nouveaux maillots bleus Air-Tech, El Narigón (« gros nez », le surnom de Bilardo) convoque un des intendants de l’albiceleste, Rubén Benros, alias Tito, et le préposé à la logistique, Rubén Moschella.
Leur mission ? Trouver urgemment un maillot répondant à quatre critères : de couleur bleue, en col V, avec le logo obligé Le Coq Sportif et surtout, le plus léger possible ! Il faut en outre dégoter 40 exemplaires de ces tuniques bleues… Les deux Rubén, terrorisés par cette mission impossible, raconteront qu’après avoir écumé les boutiques de sport de Mexico, ils ont fini par trouver les camisetas répondant aux quatre critères bilardiens dans un magasin, la veille du match.
Mais c’est Héctor Zelada, le troisième gardien de l’équipe (derrière Nery Pumpido et Luis Islas) qui a livré à Andrés Burgo, bien tuyauté par Jorge Burruchaga, la vraie version de la trouvaille pas si miraculeuse. Alors gardien du célèbre Club América de Mexico, qui loge la sélection argentine dans ses installations durant ce Mundial, Zelada possédait dans la capitale du pays une boutique de vêtements de sports, Deportes Zelada, dans le quartier Moctezuma.
« Je me suis occupé du sujet personnellement, et on a résolu le problème » avait-il confié au journaliste. Bilardo valide ces 40 camisetas répondant à ses critères. Sauf qu’il faut floquer les numéros en blanc, au dos, et y coudre sur le cœur les écussons AFA, Asociación del Fútbol Argentino…
Et c’est reparti pour les deux Rubén ! Or, c’est dur-dur : toutes les boutiques sont fermées. Mais, là, vrai miracle : le fils du président de l’América connaît une boutique qui vend des tissus spéciaux pour numéros de maillots. Arrivés au magasin, Rubén & Rubén n’y trouvent que trois coloris bleu, rouge et jaune… Les deux compères paniqués repèrent toutefois un vague textile gris argenté, conçu pour des numéros de football américain, en fait. D’où la brillance argentée.
Les deux compères testent sur deux maillots deux numéros cousus, découpés dans cette matière pailletée avant de les soumettre, terrifiés, au terrible coach argentin qui sort de déjeuner. Il rejette de suite ces numéros gris dégueu… Et puis, nouveau miracle : Diego Maradona, qui sortait également de table, vient se mêler aux conciliabules et jette un œil sur le spécimen au numéro bizarre : «ça me plaît beaucoup. Avec ça, on va battre les Anglais ! », rapporte Burgo. Dieu a parlé ! Bilardo s’incline…
On est samedi, veille du match : il faut donc très vite floquer au fer à repasser par transfert thermocollant 40 maillots et coudre les écussons AFA. Car le lendemain dimanche, très tôt dans la matinée, le van de la FIFA doit venir récupérer le paquetage de l’Albiceleste… Ce sont les employées du Club América, braves femmes de ménages, qui vont s’atteler tout le samedi après-midi, des heures durant, au flocage des numéros et à la couture des écussons récupérés sur les maillots du match contre l’Uruguay.
Même si le nouveau maillot déplaît aux joueurs, avec son textile de piètre qualité et ses numéros « couleur de tenues de cabaret » (Bilardo dixit) les apparences sont sauves… à quelques détails près ! Les lauriers dorés qui figurent habituellement sous l’écusson ne sont plus là. Le nouveau maillot est en deux tons bleu verticaux (foncé et clair), différents du bleu uni habituel, le col en V est plus « pointu » que l’arrondi normal.
Sur la camiseta nouvelle, le coq du logo Le Coq Sportif déborde légèrement de son triangle. Enfin, pour les éventuels collectionneurs, l’étiquette Fabriqué au Mexique au niveau du cou atteste beaucoup mieux de son authenticité que les innombrables répliques contrefaites qui ont pullulé depuis. Au matin du 22 juin, le maillot est prêt… Dans l’après-midi, l’Albiceleste battra l’Albion à l’Estadio Azteca de Mexico (2-1) avec ce drôle de maillot, en route vers la victoire finale contre la RFA (3-2).
En guise d’épilogue, le 4 mai 2022, le maillot N°10 de Diego qu’il avait échangé avec le défenseur anglais Steve Hodge (photo ci-dessous) a été vendu aux enchères par Sotheby’s. Pour ce vilain maillot, l’acheteur anonyme a déboursé 9,3 millions de dollars, une somme qui a battu tous les records pour une pièce sportive de collection…