Histoires de maillots
CAMEROUN 2004 L’histoire du maillot-combinaison du Cameroun en 2004
Quand les Lions Indomptables jouaient avec une... combinaison.
En 2004, deux ans après l'histoire du maillot sans manche, le Cameroun déboule sur les terrains avec une combinaison "une-pièce". Mais pourquoi ?
Sepp Blatter est vénère comme Lucifer ! Le 23 janvier 2004, à deux jours de l’entrée en lice du Cameroun à la CAN en Tunisie, le boss de la FIFA s’est mis à fustiger publiquement l’UniQT. Le quoi ? L’UniQT… C’est la combinaison une-pièce, short et maillots cousus ensemble, conçue par l’équipementier Puma qui habillera les Lions Indomptables durant le tournoi.
« C’est la deuxième fois que Puma contrevient aux lois du jeu, peste Blatter. Il y a deux ans, lors de la CAN au Mali, les Camerounais avaient joué dans une tenue sans manches. Nous avions protesté. » Exact ! Conciliants, les designers de Puma avaient fait ajouter (« accoler », plutôt) des manches noires aux maillots des Indomptables partis disputer quelques mois plus tard le Mondial asiatique de 2002. Si le fameux UniQT tout d’une pièce apparaît en effet révolutionnaire dans sa matérialité, sa conception n’est pas non plus follement originale. Depuis la fin des années 90, l’athlétisme (Michael Johnson aux JO d’Atlanta, puis Cathy Freeman aux JO de Sydney habillés par Nike) et la natation (Ian Thorpe, vêtu par Adidas) avaient succombé à la mode de la combinaison, partielle au départ puis intégrale.
Dans le sillage de ses deux grands rivaux, Puma avait donc astucieusement innové dans le football. Entre fauves consentants, le partenariat s’annonçait prometteur pour Puma avec un Cameroun double champion d’Afrique 2000 et 2002. Surfant sans doute également sur l’extraordinaire succès du Roi Lion de Disney sorti en 1994, Puma diffuse fin 2001 un spot de lancement de sa combi. La vidéo mêle des images réelles d’Eto’o et Djemba enfilant leur bel UniQT et des images d’animation où Sam Fils affronte un terrible lion en le dribblant. Pas fous, les gars de chez Puma : les griffures aux flancs que le lion féroce inflige à Eto’o dans le dessin animé sont reproduites sur le maillot réel des Indomptables ! Ces griffures factices qui s’ouvrent le long des muscles obliques couvrent des mini ouvertures qui assurent en fait une meilleure aération du maillot vert. Une ceinture élastique (avec une languette intérieure pour serrer le short) marque la transition entre le maillot ajusté et le flottant de couleur rouge.
La combi s’enfile par le bas et se referme par le haut via des fermetures à glissières masquées au niveau des épaules. Avec son haut avantageusement moulant, « l’équipe du Cameroun a le physique parfait pour l’UniQT, près du corps », s’enflammait alors l’énamouré Filip Trulsson, responsable du marketing international football de PUMA, rapporté par Camfoot.com en avril 2022. Les chaussettes sont jaunes, comme les noms et les numéros au graphisme tout aussi griffu, et complètent l’ensemble vert-jaune-rouge traditionnel du Cameroun…
Mais retour à la CAN 2004 ! Après le premier match du Cameroun disputé le 25 janvier contre l’Algérie (le gardien Idriss Kameni portant un bas de survête et un maillot noirs), la FIFA somme la Fecafoot (la fédé camerounaise) de rhabiller illico ses Lions dans un kit short-maillot classique. Prétextant une impossibilité de leur procurer des tenues correctes exigées pour la suite de la compète, Puma fournit donc la même combi jusqu’aux quarts, fatals aux Lions, sortis par les Super Eagles (1-2). Blatter explose !
Face à la « gravité de l’infraction » (sic), la Commission de discipline de la FIFA lance ses foudres vengeresses : le 16 avril 2004, elle inflige à la Fecafoot une amende de 200 000 francs suisses (128 900 euros) et six points de pénalité aux Lions Indomptables pour les éliminatoires de la Coupe du Monde 2006. Dans un groupe de la Mort où figurent la Côte d’Ivoire, l’Égypte, le Bénin, le Soudan, la Libye et où le premier est le seul qualifié, le Cameroun est sévèrement cloué au décollage avant les qualifs !
La FIFA justifie sa sanction en invoquant le Texte IV des Lois du jeu consacré à la tenue des footballeurs. Si l’International Board édicte en effet que « l’équipement de base de tout joueur comprend : un maillot ou chemisette, des culottes (…), des chaussettes, des protège-tibias et des chaussures », Puma a joué sur « l’ambiguïté » du texte qui ne dit pas si le maillot doit être totalement indépendant du short. La conception de l’UniQT qui remontait en fait à 2001, en même temps que celle du maillot sans manches, indique sans doute une double préméditation cachée de la marque au fauve consistant à jouer habilement sur l’imprécision du fameux Texte IV de l’IFAB…
Le 12 mai 2004, la Commission d’appel de la FIFA confirme sa double sanction à l’encontre de la Fecafoot, soulevant une vague de protestations africaines dopées par des pétitions et une campagne finaude déjà lancée par Puma une semaine plus tôt. Une pleine page de publicité, intitulée Nothing is possible (« Rien n’est possible », un détournement du slogan d’Adidas Everything is possible) avec une large photo de trois Lions Indomptables vêtus de la combi, est publiée dans L’Equipe, comme un appel universel contre la censure esthétique de l’UniQT et contre l’iniquité de la méchante FIFA.
En Afrique, on subodore que Sepp Blatter a instrumentalisé cette affaire du maillot « tout-en-un » afin d’affaiblir Issa Hayatou, le tout-puissant patron camerounais de la CAF, un dangereux rival que le Suisse avait battu à l’élection présidentielle de la FIFA en 2002…
Le 21 mai 2004, lors du 54ème congrès de la FIFA à Paris, la sanction sportive (retrait des 6 points) est levée à l’unanimité des congressistes… mais pas la sanction financière de 200 000 francs suisses ! Et dire que la FIFA aurait pu régler cette histoire en faisant valoir qu’à la fin des matchs le traditionnel échange des maillots excluait formellement l’échange des shorts ! Avec une exposition optimale, Puma passant pour « la » marque moderne et branchée, a réussi un joli coup. Même si les Lions ne sont pas allés au Mondial 2010 sud-africain.
Quant au fameux UniQT, présenté dans le commerce mais non mis en vente, il est évidemment devenu plus que collector et sa valeur à l’argus ferait rugir votre CB…