Histoires de maillots
Les 24 joueurs du Real Madrid, dos tournés au public de la tribune d’honneur du Bernabeu, se mettent soudainement à applaudir lors de la présentation d’avant-match contre le Rayo Vallecano.
Ce mercredi 24 mai 2023, pour le compte de la 36ème journée d’une Liga déjà acquise au Barça, les 24 qui représentent l’ensemble de l’effectif pro portent tous dans le dos leur traditionnel maillot blanc. Mais toutes les tuniques meringue sont floquées VINI JR., pour Vinicius Junior, ainsi que son numéro attitré, le 20…
Ils sont tous là : les onze titulaires, ainsi que les remplaçants, les blessés et les suspendus. Militão, forfait, est en pantalon de jeans. L’image est forte : l’alignement de ces jeunes hommes au maillot identique affiche une détermination collective alors que les 45 000 spectateurs applaudissent debout eux aussi, en communion avec leur équipe.
« Nous sommes tous Vinicius »
Puis les 24 se retournent, poursuivant leurs applaudissements en direction du public et de Vinicius, resté en retrait sur la ligne de touche. Ému, le jeune Brésilien de 22 ans, en tenue de ville, salue ses potes et le public, pouce levé, avant de quitter le terrain. Vini est forfait. Officiellement, il souffre depuis la veille d’une gêne au genou… La blessure n’est pas feinte mais la douleur est beaucoup plus profonde. Elle s’exprime à la lecture de l’immense banderole déployée en long dans un des virages du Bernabeu qui répond comme en écho au maillot unique des 24 du Brésilien puisqu’il y figure au bout, à droite : « Vinicius somos todos. Basta ya ! » (« Nous sommes tous Vinicius. En voilà assez ! »). En voilà assez de quoi ? Flash back…
Dimanche 21 mai 2023, 35ème journée au Mestalla. Le Valence CF mène 1-0 face au Real Madrid. Dans une ambiance déjà très électrique, lors d’un long arrêt de jeu survenu à la 72ème minute, Vinicius craque : il se rue en colère vers le public, derrière le but valencien, pour désigner du doigt des supporters adverses qui l’ont insulté. En Liga, Vinicius Junior est la cible récurrente numéro 1 du racisme le plus abject, fréquemment victime de cris de singe ou carrément traité de mono (« singe » en espagnol), entendu justement dans ce virage du Mestalla. On reprocherait à l’attaquant brésilien son « arrogance » lors de la célébration de ses buts…
Le pire arrive à la fin des arrêts de jeu quand, au milieu d’une échauffourée entre joueurs, Vinicius est expulsé après avoir mis à terre Hugo Douro d’une petite claque. Or, les images de la VAR indiquent clairement que le gardien de Valence Mamadarshvili a d’abord malmené le Brésilien puis qu’il s’est littéralement fait étrangler par Hugo Douro avant de répliquer. Vinicius sort, humilié, bouleversé, sous les huées chargées de-ci, de-là d’une haine glaçante.
« Le racisme est normal en Liga »
Après le match, il déverse sa colère sur Instagram : « Ce qu’ont gagné les racistes, c’est mon expulsion. Ce n’était pas la première fois, ni la deuxième, ni la troisième. Le racisme est normal en Liga. » Les années passent mais ce fléau persiste, en effet, en championnat d’Espagne : Samuel Eto’o, Ronaldo Lima, Dani Alvés, Diakaby… Sauf que là, l’indignation générale démarre crescendo dès le dimanche soir 22 mai, avec d’abord le soutien de Carlo Ancelotti, son coach (« C’est inacceptable. La Liga espagnole a un problème avec le racisme »), et de son coéquipier Thibaut Courtois (« « Si Vini avait dit ‘je quitte le terrain’, je serais parti avec lui»).
Les messages affluent aussi de la part de Neymar, Richarlison, Ronaldo Lima ou Mbappé. Du Brésil, le chanteur Gilberto Gil, et du Japon, le président Lula da Silva, condamnent l’acte raciste dont Vini a été victime. Luis Rubiales, président de la RFEF (la fédé espagnole) condamne également l’incident en promettant des mesures énergiques, tout comme l’exprime le patron de la Fifa Gianni Infantino. Sur le terrain judiciaire, la police annonce mardi 23 mai avoir arrêté trois jeunes suspectés d’avoir tenu des propos racistes envers Vinicius, dimanche.
Le journal AS rapporte que l’arbitre VAR Ignacio Iglesias Villanueva qui officiait lors de la rencontre a été licencié. Enfin la commission de discipline de la RFEF a annulé le rouge et la suspension de Vinicius, le rendant apte à jouer contre le Rayo. En outre, la tribune Mario Kempes du stade Mestalla, d’où provenaient les injures racistes, sera fermée pour cinq matches et une amende de 45 000 euros infligée au Valence CF.
Un maillot unique floqué du 20
Dans la foulée de l’indignation générale, le Real Madrid avait conséquemment marqué le coup ce mercredi 24 mai avec un protocole spécial incluant toutes les forces vives du club : banderole et applaudissements du public avant-match, photo commune des joueurs du Real Madrid et du Rayo Vallecano posant devant une pancarte rouge au message fort, « les racistes hors du football » dans le cadre de la campagne lancée la veille par la RFEF, et enfin nouveaux applaudissements du public de Bernabeu à la 20ème minute du match en référence au numéro 20 de Vinicius. Un Vinicius installé ce soir-là à la droite du président Florentino Perez, impliqué également. Une marque d’estime forte, en plus de la plainte pour délit de haine déposée par un club qui avait longtemps toléré au Bernabeu la frange extrémiste des sinistres Ultras Sur.
Et puis il y a ce maillot floqué VINI JR, porté comme un seul homme par les 24 madridistas dans un geste de vraie solidarité. Non pas un simple T-shirt ou une chasuble confectionnés à la va vite, mais la vraie tunique avec sponsor, écusson et flocage officiels.
Reprenant ensuite leur maillot personnel, les meringue ont gagné 2-1. Auteur du but victorieux à la 88ème minute, Rodrygo l’avait célébré, immobile, muet, poing levé et tête baissée façon Black Power, avant d’adresser à Vinicius un signe de cœur avec les doigts…