Ce dimanche, la Lazio a célébré les 50 ans de son premier titre de champion d'Italie. En cette année 1974, le meilleur buteur du club romain s'appelait Giorgio Chinaglia. Un bonhomme comme on n'en voit plus aujourd'hui.

Chérif Ghemmour

La scène se passe, après un match, dans le vestiaire du Giant Stadium, antre du New York Cosmos. Giorgio Chinaglia reproche à Pelé de ne pas lui passer assez le ballon. O Rei se justifie sèchement en lui rétorquant que son positionnement et ses angles de tirs ne sont pas propices à des passes décisives.

Giorgio bondit de son siège en hurlant : « Je suis Chinaglia ! Si je shoote de n’importe quel endroit, c’est parce que Chinaglia peut marquer de n’importe quelle position ! »

Chinaglia, héros du Scudetto 1974

Au Cosmos 1977, Pelé avait beau être le Roi et Beckenbauer le Kaiser, Giorgio 1er restait Empereur romain, capable de les critiquer yeux dans les yeux, quitte à commettre des sacrilèges : « J’avais un problème avec Pelé, oui, raconta-t-il plus tard. Il venait toujours au centre de l’attaque et on se mélangeait les pinceaux. Alors, je lui ai dit : « Va jouer sur l’aile, comme ça tu auras plus d’espace« . Il ne l’a pas bien pris. »

Pele / Giorgio Chinaglia - 28.08.1977 - New York Cosmos / Seattle Sounders -NASL Photo : Peter Robinson / PA Images / Icon Sport   - Photo by Icon Sport

Parce que Giorgio, qui parlait toujours à la troisième personne, se considérait tout simplement aux USA comme le numéro 1 des N°9, une légitimité conquise en 1974, année où il avait offert à une Lazio abonnée à la lose son premier titre de Serie A et où il avait fini meilleur buteur avec 24 buts. C’était il y a 50 ans, tout rond. Ce dimanche, le club romain a célébré ses héros de 1974 avec, évidemment, Chinaglia en tête.

Formation galloise

Giorgio 1er était en fait entré dans la caste des Grands d’Italie le 21 juin 1972 contre la Bulgarie à Sofia (1-1) en devenant le premier international du pays opérant en Serie B. Et le Laziale avait évidemment marqué…

Golgoth surpuissant de 1m86, aussi minéral que le marbre de Carrare (où il est né en 1947), un matériau noble dont on fait les statues, dans une région qui produit des grandes gueules au caractère bien trempé ! En 1958, son padre avait emmené la famille au pays de Galles pour bosser comme mineur et métallo avant de devenir restaurateur à Cardiff.

Giorgio Chinaglia, l'Italien dans toute sa splendeur

Bon manieur de ballon, Giorgio s’était distingué en équipes de jeunes de Swansea Town, grimpant les échelons jusqu’en équipe A. Il est semi pro à 15 ans, mais ne supporte pas à 16 de faire parfois banquette. Une engueulade mémorable avec le coach Trevor Morris convaincra son père de retourner en Italie en 1966 afin que le talent du fiston s’épanouisse… et qu’il doive accomplir aussi son service militaire !

Du pays de Galles, Giorgio gardera l’accent gallois d’un anglais parlé fluently et plus tard un surnom, Long John, lié à son physique imposant et à ce séjour britannique familial.

L’idole des tifosi laziali

Mais au pays, il est interdit de Serie A durant trois ans du fait d’avoir été pro à l’étranger. Il en profite pour se forger une carapace dans le maquis hostile de la Serie C encore imprégnée du catenaccio, à la Massese Calcio puis à l’Internapoli, où ses talents de buteur l’enverront à la Lazio en 1969. La légende était lancée !

Malgré une descente en D2 en 1971, le club remonte immédiatement, puis se classe troisième dès 1973, avant le sacre suprême l’année suivante. Entre-temps, Giorgio est devenu une star nationale : « Il est impossible de raconter ce que c’est que d’être l’objet d’attention de 52 millions d’Italiens, s’était-il confié au prestigieux Sports Illustrated en 1979. C’était terrible. Tout le monde voulait épouser Chinaglia, appartenir au clan Chinglia. Des fans clubs partout : 21000 membres rien qu’à Rome ! Les journaux romains me sollicitaient pour avoir mon avis sur tout et n’importe quoi et mes déclarations étaient publiées en page 1… alors que celles du Pape étaient reléguées en page 3 ! »

Tout le monde voulait épouser Chinaglia, appartenir au clan Chinglia. Des fans clubs partout : 21000 membres rien qu’à Rome !

Giorgio Chinaglia

L’Italie est folle de ce brun méridional et viril aux rouflaquettes et boucles brunes, son sourire Colgate et ses yeux bleus clair, ton sur ton avec le maillot des biancocelesti. 

Giorgio Chinaglia, l'Italien dans toute sa splendeur

Lors de la saison triomphale 1973-1974, Long John a marqué les deux buts vainqueurs des deux derbys contre la Roma (deux fois 2-1). Roberto Lovati, ancien gardien légendaire de la Lazio, avait salué sa témérité : « Face à 60 000 fans romanisti qui le haïssaient, il célébrait ses buts en se plantant devant une tribune sous les jets d’oranges et de briques, seul, poings levés, en leur criant : « Regardez-moi ! Je suis Giorgio Chinaglia ! Je vous ai tous battus ! »

Une photo le rendra immortel auprès du peuple laziale dans la pause du gladiateur invincible, bras tendu et index majestueux pointé vers la curva adverse.

Giorgio Chinaglia, l'Italien dans toute sa splendeur

L’exil à New York

Superstar ombrageuse capable de sortir sa Winchester et tirer en l’air à sa sortie en voiture du San Paolo de Naples pour éloigner la foule hostile, Chinaglia est alors le footballeur le mieux payé de la Péninsule, émargeant à 300 000 dollars par an.

Sa personnalité hors-norme accouche d’un néologisme, chinagliata, qui veut dire à peu près, « imprévisible », « pas très orthodoxe ». Ztatanesque bien avant Ibrahimovic, il enregistre un single pop en mars 1974, I am Football Crazy,  avec ce refrain définitif : « Yes, I’m the best / I’m the best in all the world / I’m the strongest of them all. »

Le choix de l’anglais est prémonitoire : Giorgio songeait sans doute déjà au grand saut vers l’Amérique où il avait commencé à investir dans la construction immobilière à New York depuis 1972. Et puis son épouse Connie Eruzione est américaine…

Le Mondial 1974 désastreux d’une Nazionale éliminée au premier tour laissera le souvenir confus d’une sortie à la mi-temps contre Haïti à la suite de laquelle le Laziale exaspéré aurait agité un doigt d’honneur au sélectionneur Ferruccio Valcareggi. Il démentira le geste obscène…

Et il enquillera sur deux saisons moyennes à la Lazio avant de déchirer le cœur des tifosi en partant s’exiler au New York Cosmos à l’été 1976. Un cambriolage à son domicile, des menaces d’enlèvements typiques des Années de plomb (d’où son flingue dans la boîte à gants) et un système fiscal trop confiscatoire avaient renforcé sa conviction de se transférer à Big Apple.

Une dégaine avant tout

Le deal avait été scellé l’année précédente, pour la somme de 840 000 dollars pour trois ans. Il s’était proposé de lui-même au manager Clive Toye, stupéfiant la planète foot en débarquant à seulement 29 ans, alors que les stars comme Pelé, Best, Cruyff, Beckenbauer, Eusebio avaient débarqué en NASL en retraités venus ramasser les dollars…

Footballeur et businessman dans l’immobilier, Giorgio accèdera à la stature bigger than life en réalisant son American dream. A New York, dans la foulée sportive des icones Jake la Motta et Joe Di Maggio, il surfe sur la déferlante italo-américaine  triomphante consacrée par Le Parrain de Coppola (avec la Trinité Pacino-Brando-De Niro), mais aussi des Scorsese, Stallone et du ragazzo qui monte, John Travolta !

Même si Pelé est la star du Cosmos, c’est Chinaglia (« Kee-NAL-ya ! », fait-il répéter aux pauvres mortels) qui impose un véritable lifestyle. Dans le New Jersey, le multimillionnaire réside en famille dans le quartier chic d’Englewood dans une demeure style méditerranéen de 22 pièces aménagées de mobilier luxueux, avec piscine et court de tennis.

Il porte des vestes du meilleur daim, des mocassins fait-mains et même ses jeans sont livrés sur mesure par un tailleur. Il passe ses vacances à Acapulco avec Steve Ross, président du Cosmos et de Time Warner, ou à Aruba (Antilles néerlandaises) avec Mick Jagger et Ahmet Ertegun, le boss d’Atlantic…

Giorgio Chinaglia, l'Italien dans toute sa splendeur

Il ne se déplace qu’en limousine et porte un peignoir de soie dans les vestiaires (« Chinaglia ne s’habille pas avec des serviettes », dixit Giorgio), fume des blondes à la chaîne et apprécie les bons scotchs de 21 ans d’âge. L’Americano !

Il porte une chevalière sertie d’une pierre noire, signe de force et de détermination. Son côté bling-bling ne vire pas à la vulgarité : sur ses chemises ouvertes relax portées sous des costards trois pièces aux fines rayures maffioso, pas de chaînes avec médailles de la Vierge ou de crucifix. Giorgio n’est pas un ange, alors pas de bondieuseries !

Obsédé des filets

Débarrassé de Pelé et du coach américain Gordon Bradley qu’il a fait virer par demande express à Steve Ross qui ne lui refuse jamais rien, Giorgio alterne entre le costume de fêtard du Club 54 pour un kit de footballeur floqué à l’américaine : CHINAGLIA en gros dans son dos et des numéros 9 partout, sur la poitrine, en haut des manches et sur le short.

Giorgio Chinaglia, l'Italien dans toute sa splendeur

Il chausse des prestigieuses Pony, une nouvelle marque de sport. Pour se mettre en confiance avant les matchs, il parle même à ses crampons ! Fan des sports US (le base-ball, surtout), l’obsédé des filets qui tient un compte serré de ses buts dont il n’oublie aucun détail (dates, adversaires, nom des gardiens) succombe naturellement à la culture des stats.

Giorgio Chinaglia, l'Italien dans toute sa splendeur

Aux 98 buts en 209 matchs pour la Lazio, il en ajoutera 242 en 254 matchs pour le Cosmos (1976-1983), finissant meilleur buteur de la NASL en 1976, 77, 78, 1980 et 1982 ! Il emmène d’ailleurs le Cosmos au titre national US en 1978, 1980 et 1982 ! « Je suis ingérable, c’est vrai, mais c’est parce que j’en sais plus que tous ces coachs stupides », triomphait-il.

Cassant et hautain même avec ses coéquipiers du fait de l’exigence qu’il a de lui-même (« Si tu manques d’ego dans la vie, et surtout en sport, tu n’iras jamais très loin »), il les régale en grand seigneur en leur payant le resto et les frais d’hôtel en déplacement et il n’oublie jamais de célébrer ses passeurs décisifs à chaque but qu’il fête toujours bras en V.

Giorgio Chinaglia è il grido di battaglia

En 1979, Giorgio Chinaglia devient citoyen américain, rangeant fièrement son nouveau passeport dans son casier de vestiaire à côté de sa bouteille de Chivas Regal et de son paquet de clopes… Son après-carrière à la Tony Soprano de 1983 jusqu’à sa mort le 1er avril 2012 à 65 ans sera parsemée d’ennuis judiciaires divers, du fait de ses fréquentations peu recommandables. 

Mais à Rome, en tout cas, la fuite de 1976 est pardonnée depuis longtemps. Ce dimanche, alors que l’on fêtait donc les 50 ans du Scudetto laziale, un chant a résonné bien plus que tous les autres dans le stadio Olimpico. Ce chant entêtant récite : « Giorgio Chinaglia è il grido di battaglia« . Comprenez : Giorgio Chinaglia est le cri de guerre. 

 

Chérif Ghemmour

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