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GEORGE BEST George Best, un flow légendaire
Le footballeur le plus stylé de tous les temps ? Peut-être, oui.
« J'ai claqué beaucoup d'argent dans l'alcool, les filles et les voitures de sport. Le reste, je l'ai gaspillé ». Signé George Best, flambeur magnifique, aussi génial sur le terrain que playboy prodigue à la ville. Son style de vie extravagant calqué sur celui des popstars des glorieuses sixties a gravé dans l’inconscient collectif britannique le souvenir indélébile du grand Georgie, celui que toutes les femmes désiraient et que tous les hommes désiraient être…
Best ! « Un nom impératif qui claque comme une reprise de volée, un break de batterie », formulait avec justesse Yves Bigot dans son livre Football (Grasset – 1996), au chapitre Tout simplement ze meilleur. Ailier droit ravageur de Manchester United en phase avec la frénésie pop-rock des Swinging Sixties anglaises, « Georgie » avait dynamité tous les codes de la bienséance qui intimaient aux footballeurs de mener une vie bien rangée en répondant poliment par des « Yes, sir – No, sir ».
« J’aime penser que je suis un peu différent de ces gens qui viennent voir les matchs en costards noirs et coupe en brosse, assumait le play-boy nord-irlandais. J’aime la mode et tout ce qui a du style. Alors les jeunes, surtout les filles, me trouvent mignon et me traitent comme une popstar. » Le crush absolu de tout le Royaume Uni pour « Bestie », son autre surnom, date de mars 1966, après un quart de finale aller de C1 remporté 5-1 par MU à Lisbonne contre le redoutable Benfica d’Eusebio.
Désobéissant aux consignes de prudence tactique du coach Matt Busby, George Best, foot rebel de 19 ans, avait embringué les Red Devils sur un night groove explosif en signant un doublé. De retour du Portugal, il avait à nouveau fait sensation en débarquant à l’aéroport sur un coup du sombrero, affublé au sens propre d’un authentique chapeau mexicain !
Une facétie rehaussée par sa classe pop hyper stylée : frange Beatles, boots, lunettes noires, costard cintré, chemise blanche, cravate rouge-noir du club et surtout veste trois-quarts en cuir brillant par-dessus le tout, en coolitude flashy. Car ce cuir noir, semblable aux blousons Teddy de Marlon Brando, le rebelle d’Hollywood, indiquait que l’Apollon d’Old Trafford se plaçait « au dessus » de l’institution MU.
La presse portugaise l’avait aussitôt baptisé le « cinquième Beatle ». Tout faux ! George en pinçait pour les Stones, plus bad boys que les gentils Fab Four… Georgie aura doublement imposé son flow, sur et en dehors du terrain, durant son âge d’or de footballeur (1964-1969) qui a étonnamment épousé la période faste de la pop britannique débutée avec la Beatlemania jusqu’aux errements hippy de Woodstock.
La bestmania a ainsi démarré doucement, un 30 septembre 1964, dans l’émission TV culte du samedi soir, Match of the Day. L’Angleterre avait découvert ce jeune ailier nord-irlandais de 18 ans, subjuguée par ses dribbles swingants et par le but du break inscrit contre Chelsea qui avait soulevé une standing ovation de Stamford Bridge (2-0)…
Je n’ai pas couché avec sept miss Monde. Seulement quatre. Les trois autres, je ne suis jamais allé au rendez-vous
Malgré une taille moyenne (1m71), son sex appeal irradiait dans un football pro encore corseté. Des cheveux noirs de jais, sa fossette au menton, ses yeux bleu-profond et son regard de loup allaient bientôt ensorceler la gent féminine, transformant l’ado timide cantonné aux salles de snooker en womanizer number One.
Et c’est plus en séducteur invétéré qu’en footballeur d’exception qu’il lâchera ses meilleures punchlines : « Si j’avais eu à choisir entre planter un but de 50 mètres en mettant cinq adversaires dans le vent à Anfield ou bien me taper Miss Monde, ça aurait été coton. Heureusement, j’ai fait les deux. » Dans les années 80, après avoir proclamé en 1970, à 24 ans, un palmarès digne de Casanova en revendiquant 1000 conquêtes, il avait ainsi amusé la galerie : « Je n’ai pas couché avec sept miss Monde. Seulement quatre. Les trois autres, je ne suis jamais allé au rendez-vous ».
Mais, retour aux Sixties. En 1965, Best remporte avec United le championnat qui échappait au club depuis 1957. La même année, il apparaît incognito parmi le public lors du passage des Rolling Stones à l’émission Top of the Pops et à l’été, il accomplit un premier séjour à Majorque. Il popularisera en Angleterre les destinations ensoleillées du sud de l’Espagne, Costa del Sol et Baléares, et promènera de-ci, de-là un bronzage irrésistible de latin lover. On doit certainement à George Best, depuis, cette calamité bien anglaise des invasions de touristes britanniques à Ibiza…
En 1967, un an après son exploit de Lisbonne et son coup du sombrero qui l’avaient donc consacré superstar, il gagne à nouveau avec les Red Devils le titre de champion en 1967 et ouvre parallèlement à 21 ans un magasin de fringues, Edwardia. Un piège à filles, en fait, puisqu’à l’étage du dessus, il y passe ses après-midi en galante compagnie…
En 1968, Bestie est au top de son top, « à la scène comme à la ville ». Dans le temple Wembley, en finale de C1 1968 remportée contre le Benfica (4-1, a.p), outre son splendide but décisif du 2-1, il s’immortalise dans une attitude provocatrice en jouant avec son maillot descendu hors du short ! Une insolence rock’n’roll qui sera imitée bientôt par ses suiveurs énamourés et assumés, tel Dominique Rocheteau, cheveux longs et tunique verte flottant librement au vent.
Ses vêtements, la longueur de ses cheveux et sa nonchalance devant les objectifs : tout chez lui illustrait le schisme entre le milieu des années 1960 et ce qui s’était passé avant.
À la ville, le dandy déploie toute la garde-robe pop et psyché de Carnaby Street : vestes en daim ou en tweed, cardigans, boots, pantalons fuchsia et ceinturons à boucle, cols roulés ou polos mod, cravates aux motifs cachemire ou foulards noués autour du cou. L’Angleterre succombe à la mode très stonienne du Georgie way of life : jolies filles, Jaguars type E et l’alcool, plutôt que les drogues. « Il ressemblait à un chanteur de “Top of the Pops” ou à un guitariste de “Ready Steady Go !”, autre émission rock, écrivait le journaliste Duncan Hamilton repris dans Le Monde de novembre 2015. Ses vêtements, la longueur de ses cheveux et sa nonchalance devant les objectifs : tout chez lui illustrait le schisme entre le milieu des années 1960 et ce qui s’était passé avant. »
Au pic de sa carrière de joueur en 1968 (C1 à Wembley et titre de meilleur buteur avec 28 buts), il écume les night clubs en alternance avec ses garçonnières achetées ou louées à Manchester et à Londres. Ballon d’Or également cette année-là, il devient le premier footballeur à gagner des fortunes insensées, additionnant à ses salaires et primes de joueurs des contrats publicitaires personnalisés, tel la promotion d’une nouvelle marque de crampons très british, les Stylo Matchmakers.
Il négocie aussi chèrement avec les tabloïds des chroniques foot réécrites par des ghost writers et se laisse soudoyer par des paparazzis qu’il rencarde à l’avance lors de ses frasques nocturnes ! Il gagne alors la somme considérable pour l’époque de 2000 livres par semaine. En Angleterre, le salaire moyen hebdomadaire plafonne alors à 23 pounds…
La saison 1969 est celle de son déclin précoce marqué d’abord par le départ de MU du mythique coach Matt Busby, son second père, et conséquemment par une indigne onzième place en championnat. Malgré un engagement encore assidu aux entrainements, Georgie déplorait en silence que l’effectif vieillissant rendait les Red Devils moins conquérants. International nord-irlandais, il traîne aussi la mélancolie de représenter un petit pays de football dont les chances de disputer la Coupe du monde sont quasi nulles.
C’est pourquoi il plaidera toute sa vie en faveur d’une équipe d’Irlande réunifiée, comme en rugby. Et puis l’irruption du jeune Johan Cruyff, à la vitesse supersonique, l’avait déclassé dans la catégorie des solistes offensifs flamboyants. Avec ironie, il reviendra sur sa volonté si peu tenace de se ranger : « En 1969 j’ai arrêté les femmes et l’alcool, ç’a été les 20 minutes les plus dures de ma vie » !
Les démons de l’alcool, du donjuanisme et du casino où il mise des blindes sur ses deux numéros de maillots fétiches, le 7 et le 11, le font progressivement dévier de sa carrière désormais émaillée d’absences répétées aux entrainements. Son dernier fait d’arme notable survient le 7 février 1970, lors d’une victoire en Cup (8-2) contre Northampton (D4) où il plante un sextuplé !
Après George Best, les footballeurs étaient devenus des playboys, des mannequins masculins et même, malheureusement, des pop stars.
Les séjours alcoolisés à Majorque avec ses potes succèdent aux virées à Marbella et en 1973, l’oiseau de nuit ouvre un night-club, le Slack Alice, où déboulent Bowie, Jagger ou Rod Stewart ! En janvier 1974, il est finalement viré de Man United, alors que le Real Madrid et la Juventus le convoitaient. Richard T Kelly, journaliste à Esquire, résumera laconiquement en 2016 la chute de l’Ange : « Avant George Best, les footballeurs étaient des hommes humbles, soumis au régime viande et pommes de terre, très éloignés des mondes raréfiés de la mode et de la publicité qu’ils ont ensuite embrassés. Après George Best, ils étaient des playboys, des mannequins masculins et même, malheureusement, des pop stars.»
Et c’est dans l’imitation du mode de vie des pop stars anglaises que Best débarque en février 1976 aux Los Angeles Aztecs, dont Elton John est copropriétaire… Mercenaire-pigiste en NASL, il tape dans des ballons étoilés sans jamais rien céder à ses vices : « J’avais une maison au bord de la mer. Mais pour aller à la plage, il fallait passer devant un bar. Je n’ai jamais vu la mer. »
Malgré un charisme de séducteur toujours intact, l’ancien lanceur de modes suit mollement les tendances seventies : cheveux plus longs, barbe Led Zep, pattes d’eph sur platform boots, chemises bouffantes à cols pelles à tarte, complet jean’s informes, T-shirts aux motifs vulgaires, Ray Ban aux montures dorées…
L’alcoolisme a bouffi le visage et empâté la silhouette de celui qui tente vainement de relancer sa carrière à Fulham (1977), LA Aztecs à nouveau (1978), Fort Lauderdale Strikers (1979), Hibernian (1980) et enfin San José Earthquakes, en 1982, année où il raccroche définitivement à 37 ans.
Sa retraite sportive n’arrange pas son alcoolisme qu’il trimballera sur les plateaux TV ou les tournées conférences où il ressasse ses anecdotes salées. Son ami Jim Boyce, ancien président de la fédé nord-irlandaise, avait raconté ce que Georgie lui avait confessé en 1988 : « Les gens ne se rendent pas compte à quel point je souffre de mon alcoolisme. Et ils ne voient pas les efforts que j’ai endurés pour essayer d’arrêter. Mais je ne peux pas m’empêcher de boire. Malheureusement, à cause de cette maladie, je ne suis pas du tout devenu la personne que je voulais être. Et je sais que je ne pourrai jamais rien y changer. »
George Best s’est éteint le 25 novembre 2005 à Londres, à seulement 59 ans, réveillant une nostalgie très anglaise de ses fulgurances foot d’antan. Comme l’aéroport de Liverpool devenu le John Lennon Airport, celui de Belfast a été baptisé du nom du plus célèbre des Nord-Irlandais, autre star des Swinging Sixties…