Maillots engagés
BAHIA Bahia, un maillot contre la marée noire
Le jour où Bahia a porté un maillot pour protester contre la marée noire.
En 2019, l’Esporte Clube de Bahia avait voulu réveiller les consciences en affichant sur son maillot de grosses taches noires, qui symbolisait le mazout qui s’est déversé sur les côtes brésiliennes.
Le dimanche 20 octobre 2019, l’Esporte Clube de Bahia, club de D1 brésilienne, poste un tweet mobilisateur : « Ça a coulé… aussi sur la chemise de l‘Esquadrão. En raison des mesures prises pour réduire l’impact environnemental et punir les responsables, nos maillots seront tachés d’huile lors du match de demain – comme le sont les plages du Nord-Est. »
L’Esquadrão (« l’Équipe ») est le surnom de l’ECB basée à Salvador et l’huile désigne en fait le mazout qui s’est déversé depuis trois semaines sur plus de 2000 kilomètres de côtes, de l’Etat de Maranhão à celui de Bahia. En cause, une marée noire d’origine inconnue (un accident d’exploitation pétrolière au large du Venezuela voisin ?) et qui touche des régions pauvres dépendant grandement du tourisme.
Les nappes d’hydrocarbures ont déposé de grandes galettes de pétrole qui souillent les plages magnifiques de Pernambouc, au nord de Bahia, ou la cité balnéaire de Porto de Galinhas, un des spots touristiques les plus côtés du Brésil. Selon le journal local Natureza, la faune et la flore marines de douze réserves naturelles auraient été impactées par cette marée noire…
Faisant écho à la colère des autorités locales, qui ont diligenté vers ces plages des équipes de nettoyage, souvent bénévoles, tout en accusant le gouvernement fédéral de la présidence Bolsonaro d’incurie, l’Esporte Clube de Bahia a fait confectionner dans l’urgence un maillot très spécial.
Le lundi 21 octobre, lors de la 27ème Journée du Campeonato Brasileiro 2019, face au mal classé Ceará Sporting Club, les joueurs de la tricolor (autre surnom de EC Bahia) pénètrent sur la pelouse affublés de leur habituelle tunique domicile aux larges rayures verticales rouges et bleues séparées de traits blancs. Mais le devant de la camisa est souillé sous le col en V blanc par un écoulement noir imitant le mazout qui descend en perlant sur la poitrine.
🆘🏖 Vazou… também na camisa do Esquadrão.
Por medidas de redução do impacto ambiental e pela punição aos responsáveis, nossas camisas estarão manchadas de óleo no jogo de amanhã – como as praias do Nordeste. #BBMP
Leia o Manifesto ➡️ https://t.co/PRi5hxH2f5 pic.twitter.com/Yr8pVnfLKB
— Esporte Clube Bahia (@ecbahia) October 20, 2019
Sur les deux côtés, des flaques tout aussi noirâtres se répandent le long des flancs. Le bas de la tunique s’imprime de la même saleté imbibée au cirage. L’ensemble des taches noires décrit un mouvement de recouvrement progressif visqueux partant des quatre parties périphériques (haut, bas, gauche, droite) vers le centre du maillot. Comme une mini marée crade sur le textile rouge et bleu…
Un manifeste très engagé S.O.S praia (« S.O.S plages ») à signer et à relayer avait complété le tweet de la veille émanant du club : « C’est ton problème, c’est notre problème. […] Bahia c’est toi, c’est nous, chaque être humain. Bahia est l’union d’un peuple qui vibre dans le même sens, qui respire le même air et qui dépend de la même nature pour exister. Ce maillot est une invitation à la réflexion : qu’est-ce qui fait qu’un être humain attaque et détruit des espaces sacrés ? Le profit à tout prix peut-il détruire l’éthique et les lois qui régissent et rendent l’humanité viable ? »
On se questionne aussitôt sur l’origine de ce maillot souillé. « Pour vous dire la vérité, je ne sais même plus qui a eu cette idée, avait avoué le président de la tricolor, Guilherme Bellintani, au média brésilien Globo Esporte rapporté par Ouest-France le 22 octobre 2019. Au club, nous avons un groupe WhatsApp où règne une atmosphère ouverte, à la fois amusante et légère. Les gens se sentent libres de proposer des idées. Certaines très absurdes, certaines très folles, mais certaines de ces choses fonctionnent. »
La sensibilisation populaire à ce désastre environnemental véhiculée par son maillot de foot s’inscrit dans la tradition « militante » de l’EC Bahia, engagée depuis des années à promouvoir « l’affection, l’intégration et l’amour ».
Et le jeune Guilherme Bellintani (42 ans), en poste depuis 2018, avait tôt affiché ses convictions, embringuant son club dans de multiples actions caritatives (tickets à des tarifs abordables) ou sociétales (initiatives antiracistes) ! Ainsi, le 15 septembre précédent, contre le Fortaleza EC, les drapeaux des poteaux de corner battaient pavillon arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBT…
Si les souillures noirâtres du maillot ont été porteuses de mauvais présage puisque Bahia a finalement été battue à domicile 2-1, elles ont occasionné un formidable engouement commercial. « Lorsque nous avons annoncé ce maillot, beaucoup de gens ont cherché à l’acheter, s’était étonné Bellintani pour Globo Esporte repris par Ouest-France. Mais il est difficile de le produire à grande échelle. Nous avons donc décidé d’ouvrir des enchères sur internet pour les maillots portés par nos joueurs. Les fonds seront reversés aux groupes chargés de nettoyer les plages. »
Flairant la bonne affaire d’une tunique forcément collector ou bien par activisme sincère, les premiers acheteurs se sont rués sur la désormais fameuse camisa manchada de óleo (« le maillot taché de pétrole ») dès l’ouverture des enchères qui ont vite atteint de 800 à 1400 euros pièce !
L’effet médiatique considérable et immédiat au Brésil mais aussi à l’international conduira le gouvernement fédéral à déployer d’urgence 5000 militaires chargés de nettoyer le littoral nordestin. Il faut dire qu’au Brésil, les questions environnementales sont devenues un enjeu de société majeur avec le drame de la déforestation effrénée de l’Amazonie agréée par le président Jair Bolsonaro.
La Coupe du monde 2014 au Brésil avait été ainsi placée sous le signe verdoyant de la protection de la Nature. Et c’est tout « naturellement » qu’en octobre 2019, le club historique de Bahia, double champion du Brésil (1959 et 1988), avait joué les lanceurs d’alerte en mouillant… et en souillant le maillot !