Reportage - Allemagne
ADIDAS & PUMA Herzogenaurach, la ville qui a vu naître adidas et Puma
Reportage à Herzogenaurach, la ville qui a vu naître les deux marques cultes.
Pendant l’Euro, l’Allemagne a établi ses quartiers à Herzogenaurach, une petite ville au nord de la Bavière. Derrière le nom imprononçable se cache le berceau de deux marques historiquement rivales dans le monde du sport : adidas et Puma. On est allé y faire un tour.
En montant à bord du bus 200 à la gare d’Erlangen, on peut facilement parier à quel arrêt descendront les passagers 11 kilomètres plus loin. Pour cela, il suffit juste de jeter un coup d’œil à leurs chaussures. Si elles sont siglées d’un félin bondissant, le terminus sera « Puma-Way », si elles sont barrées de trois bandes, il faudra attendre la station suivante : « Adi-Dassler-Straße ».
À Herzogenaurach, petite bourgade de 24 000 habitants située en pleine Franconie, une sous-région du nord de la Bavière, la division entre les deux marques n’a pas complètement disparu depuis leur création en 1948. Cette année-là, les frères Adolf et Rudolf Dassler mettent fin à une collaboration de plus de 20 ans, au cours desquels ils ont transformé la fabrique de pantoufles familiales en fleuron de la chaussure de sport. Pourquoi ? Aujourd’hui encore, la réponse n’est pas vraiment claire.
Certains parlent d’une liaison entre Käthe Dassler, l’épouse d’Adolf, et son beau-frère, d’autres estiment au contraire que Rudolf tentait d’écarter cette femme de caractère du chemin de ses deux fils, pressentis pour reprendre l’affaire.
Cependant, l’hypothèse la plus probable serait celle d’une trahison : pendant la seconde guerre mondiale, Rudolf est mobilisé dans l’armée allemande, tandis que son frère peut quant à lui continuer de faire tourner l’entreprise. Mais à la fin du conflit, le second est interné dans un camp de prisonnier et les soldats américains lui auraient fait comprendre qu’une personne de son entourage leur aurait rapporté sa sympathie pour le régime nazi.
Après sa libération, la rupture est consommée. Rudolf créera sa propre marque en utilisant l’un de ses surnoms – Puma. Adolf – Adi – fera de même en y accolant son nom de famille. Une guerre fratricide vient de débuter et c’est toute leur ville natale qui va la subir jusqu’en 2009, lorsque les PDG des deux firmes disputent un match amical sous bannière (et tenue) commune pour enterrer la hache de guerre à l’occasion de la Journée mondiale de la Paix.
En cette fin d’après-midi à quelques jours du quart de finale entre l’Allemagne et l’Espagne, Matthias Zenger reçoit aimablement par un temps lourd et un ciel gris sur la terrasse du club-house du 1. FC Herzogenaurach.
Son petit teckel l’accompagne et la doudounette du vice-président indique qu’ici, les Bleu et Noir ont les faveurs de la marque au fauve. « Puma a commencé à nous soutenir en 1966, à l’occasion du 50e anniversaire du club. Mais Adidas a fait pareil avec nos voisins de l’ASV Herzogenaurach ! La rivalité entre les deux marques touche donc même les clubs locaux », explique « Matze », avant de préciser qu’entre les deux camps, le torchon est loin de brûler. « Nous jouons plusieurs divisions au-dessus d’eux et sommes un club de foot à 100%, tandis que l’ASV développe une section de football américain depuis plusieurs années. »
Puma a commencé à nous soutenir en 1966, à l’occasion du 50e anniversaire du club. Mais Adidas a fait pareil avec nos voisins de l’ASV Herzogenaurach ! La rivalité entre les deux marques touche donc même les clubs locaux
Selon le jeune quadra, enfant de Herzogenaurach lui aussi, la guerre Adidas-Puma relève aujourd’hui davantage du folklore local pour attirer les touristes que d’une réalité quotidienne.
La preuve en jetant un coup d’œil sur l’équipement de ces gamins qui tapent le cuir en F50 sur le terrain adjacent : « En même temps, on s’engage à fond dans des projets sociaux pour mettre en avant la diversité et la tolérance, ce serait donc absurde d’interdire l’accès au club à quelqu’un qui porte des Adidas. »
Cela ne signifie pas pour autant que la situation a toujours été paisible : « Du temps de mes grands-parents, la ville était effectivement coupée en deux par la rivière Aurach, poursuit Matze.
D’un côté, il y avait l’usine Adidas, accolée à celle de Schaeffler [l’autre grosse entreprise locale, spécialisée dans les composants automobiles, NDLR] et de l’autre, celle de Puma. Les gens vivaient d’un côté ou de l’autre, en fonction de leur employeur et jouaient pour le club qui lui était associé. C’était le cas du père de Lothar Matthäus, qui était concierge chez Puma par exemple. »
Une époque où, à l’entraînement, il fallait cacher les trois bandes de ses chaussures avec du scotch si l’on tenait absolument à jouer avec des crampons fabriqués par l’ennemi.
Dans les années 1970, le futur champion du monde allemand a logiquement suivi les traces de son père en prenant sa première licence au 1. FCH, où il fait aujourd’hui figure de légende locale. « Ce n’est pas seulement dû au fait qu’il est ambassadeur de Puma, jure Matze. Cela dit, c’est à cause de son transfert à Mönchengladbach que beaucoup de gens ici en sont fans ».
Le Borussia, historiquement sponsorisé par… Puma. Il n’y a pas de hasard. En 2018, alors âgé de 57 ans, « Loddar » rechausse les crampons pour donner un coup de main à son club formateur le temps d’un match, près de 20 ans après sa fin de carrière : « C’est une preuve du fait qu’il reste profondément attaché à Herzogenaurach. Aujourd’hui encore, il continue encore régulièrement à nous rendre visite et à nous soutenir ».
De son côté, Puma a progressivement réduit la voilure en termes de mécénat et, hormis le nom de Rudolf Dassler accolé à celui du stade, son engagement se résume principalement à la fourniture de matériel sportif et à l’organisation de matchs amicaux contre des clubs professionnels qu’il équipe.
Une conséquence de la mondialisation du groupe, dont le siège se trouve désormais à la lisière de la ville, comme celui de son concurrent d’ailleurs. Comme pour rappeler malgré tout l’attachement des deux marques à leur terre natale. « En revanche, on n’a pas été invités à affronter la sélection allemande pendant leur préparation à l’Euro. Mais j’imagine que la raison est évidente… », conclut le vice-président avec un sourire en coin.
En se promenant dans les charmantes rues pavées de la vieille-ville, on peut entendre le craquètement des dizaines de cigognes qui ont élu domicile sur le toit des vieilles maisons de Herzogenaurach et font partie, elles aussi, du paysage local depuis longtemps.
En guise de traces de la rivalité Adolf-Rudolf, on ne retrouve guère plus qu’une statue censée représenter la rupture entre les deux frères et une plaque apposée sur leur maison d’enfance, qui servit de premier lieu de production à leurs chaussures de sport et dont l’actuelle propriétaire accepte en maugréant qu’on la prenne en photo avant de retourner s’occuper de son jardin. Même si l’on estime qu’aujourd’hui, près d’un tiers de la population travaille toujours pour le trio Adidas-Puma-Schaeffler, à en croire les habitants, leur ville n’est rien d’autre qu’un banal petit bourg tranquille de province.
Pour voir un peu d’animation, il faut donc reprendre le bus 200 et sortir du centre. C’est dans la zone commerciale que l’on trouve une preuve que la Nationalmannschaft a bel et bien établi ses quartiers à Herzo – pour les intimes – pendant cet Euro.
Ne cherchez cependant pas à tenter de vous approcher du camp de base, le campus Adidas est une forteresse imprenable, devant laquelle une statue d’Adi Dassler monte la garde.
Pour espérer apercevoir les joueurs de Julian Nagelsmann, il faut consulter le planning des séances d’autographes organisées ponctuellement dans la boutique de la marque, au cœur d’un quartier à sa gloire et sur les murs duquel Florian Wirtz, Ilkay Gündogan, Manuel Neuer et consorts s’affichent sur de gigantesques affiches.
Sur le parking de l’outlet, une fanzone permet à des milliers de supporters d’assister aux matchs de leur équipe devant un écran géant et de leur faire coucou de la main au départ et au retour du bus. Que la marque aux trois bandes en profite, c’est le dernier tournoi pendant lequel la sélection nationale lui fera une telle pub, la fédération allemande ayant annoncé il y a quelques mois que Nike deviendra son nouvel équipementier à partir de 2027.
En attendant, Puma n’est pas complètement en reste. Au centre de « son » quartier, situé à un jet de pierre de celui d’Adidas, se dresse le siège de la firme dont l’architecture rappelle celle des iconiques boîtes rouges dans lesquelles elle vend ses baskets.
En guise de clin d’œil à la Nationalmannschaft, une immense photo de Kai Havertz, maillot neutre, mais paire de Future 7 Ultimate bien vissées aux panards. Et partout autour du magasin d’usine, des centaines de clients qui se ruent sur des produits à prix cassés. « Honnêtement, Adidas ou Puma, je m’en fous, confie Jost après être passé à la caisse. L’important c’est juste que ce soit stylé et que ça ne coûte pas trop de sous. »
Bilan de la journée : le maillot extérieur rose de l’Allemagne floqué à son nom, acheté plus d’une centaine d’euros un kilomètre plus loin et une paire de Speedcat édition Scuderia Ferrari, payées ici deux fois moins cher. Le sens du compromis dans toute sa splendeur. Pour la validation de l’outfit en revanche, on repassera.