Histoire de maillots
LIVERPOOL Les folles années Warrior de Liverpool
Gros sous, diamants et « publicité agressive » : retour sur les folles années Warrior de Liverpool.
Avant Nike et New Balance, Liverpool a été équipé par Warrior, inconnu dans le milieu du football. Si leur collaboration n’a duré que trois ans, la marque américaine a eu le temps de marquer les esprits. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire.
Janvier 2012. Liverpool occupe la septième place de la Premier League au milieu d’une saison bien terne, sans compétition européenne. Les joueurs de Kenny Dalglish sont au creux de la vague, et Adidas décide de tourner la page.
Le LFC n’est plus incontournable aux yeux de l’équipementier allemand, pas très chaud pour casser sa tirelire. « Il y avait un décalage entre leurs performances sur le terrain et les chiffres que le club désirait, expose alors Herbert Hainer, directeur exécutif d’Adidas, à Bloomberg. Tout dépend du succès, des efforts, de la popularité, de l’exposition à la télévision et des revenus que vous pouvez générer par le merchandising. Il faut une cohérence entre ce que vous offrez et ce que vous obtenez. Nous avons estimé que ce que Liverpool demandait n’était pas correct. »
Il faut une cohérence entre ce que vous offrez et ce que vous obtenez. Nous avons estimé que ce que Liverpool demandait n’était pas correct.
Vexés de ne pas être considérés parmi « les plus grandes marques de football du monde », les Reds changent donc leur fusil d’épaule. Exit Adidas, qui s’était affiché sur la tunique rouge de 1985 à 1996, avant de revenir en 2006.
Place à Warrior, qui débarque en annonçant son intention de « secouer le monde du football ». Un tremblement de terre dans le milieu, où personne ne s’attendait à ce que le petit nouveau rafle immédiatement le gros lot.
Warrior a été fondée en 1992 par David Morrow, double champion du monde de lacrosse (discipline qui fera son entrée aux Jeux olympiques de Los Angeles en 2028). Spécialisée dans le hockey et le lacrosse, la marque est rachetée par New Balance en 2004.
Inconnu dans le paysage footballistique, l’équipementier pose 30 millions d’euros par an pour s’offrir le prestige de collaborer avec Liverpool, sur un contrat de six ans. Un deal record à l’époque en Premier League, détrônant les 28 millions reçus par Manchester United avec Nike.
« Ce qui nous a vraiment encouragés, c’est qu’il s’agit de leur première incursion dans le football et que nous sommes donc leur seul client, soulignait le directeur général du club, Ian Ayre, au Guardian. Ils seront pleinement concentrés sur le Liverpool Football Club et sur sa promotion dans le monde entier. » Là où Adidas devait se partager entre pléthore d’entités.
Warrior sera pleinement concentré sur le Liverpool Football Club et sur sa promotion dans le monde entier
Et le succès est au rendez-vous : Warrior ouvre ce chapitre avec un maillot domicile 2012-2013 simple et efficace, doté d’un col rabattable que l’on n’avait plus vu chez les Reds depuis le third kit 2008-2009. C’est un carton : avec des précommandes en augmentation de 100%, venant de 115 pays, jamais un maillot ne s’était vendu aussi vite dans le Merseyside.
Unanimité, encore, pour la tunique domicile 2013-2014, dont les liserets blancs au niveau du col et des manches rappellent explicitement le maillot porté par Kenny Dalglish, Ian Rush et leur bande lors du sacre européen de 1984. La glissade de Steven Gerrard lui offrira la postérité, mais malheureusement pas de la manière souhaitée.
Le partenariat avec Warrior coïncide aussi avec un nouveau logo sur le maillot. Exit le You’ll never walk alone, la Shankly Gate et les flammes éternelles, retour au simple Liverbird, l’oiseau emblématique de la ville, sans ornements, comme sur la période 1968-1987. Et dans sa version jaune, ce qui est tout sauf un hasard.
« L’écusson jaune ambré a été utilisé entre 1976 et 1985, rappelait Kenny McCullum, directeur du marketing produit chez Warrior, dans un entretien avec SoccerBible. Au cours de cette période, tellement synonyme de succès, Liverpool a remporté sept titres de champion, quatre Coupes d’Europe, cinq Coupes nationales et une Supercoupe d’Europe. »
Warrior a beau être néophyte dans le football, tout est ici pensé pour coller avec l’identité du LFC. Ce qui va fonctionner, jusqu’à un certain point.
Le changement du logo arboré sur le maillot ne s’est pas fait sans casser d’œufs. Les deux flammes de la justice ajoutées en 1993, en mémoire de la catastrophe d’Hillsborough, sont reléguées dans la nuque avec le nombre de victimes (ce qui est toujours le cas aujourd’hui).
96 est plus qu’un nombre, déplore alors le HJC. Une fois de plus, le LFC a choisi d’ignorer le HJC et ses familles.
Le club avait préalablement consulté le Hillsborough Family Support Group (HFSG), qui représente plusieurs dizaines de familles de victimes… mais n’avait pas pris la peine d’en faire de même avec le Hillsborough Justice Campaign, une autre entité qui compte en la matière. « 96 est plus qu’un nombre, déplore alors le HJC. Une fois de plus, le LFC a choisi d’ignorer le HJC et ses familles. »
Surtout, l’équipementier US lâche complètement les chevaux en 2013-2014, sortant du placard deux ensembles particulièrement audacieux – pour certains carrément hideux. D’abord, un away kit à dominante blanche, sobre et élégant jusqu’à la poitrine, mais parsemé de « diamants » rouges, noirs et gris au niveau de l’abdomen (clin d’œil aux designs Adidas de 1989-1991).
Celui-là même dans lequel Luis Suarez essuyait ses larmes à Selhurst Park, le 5 mai 2014, au soir d’un nul qui scellait la fin des rêves de titre des Reds. « C’est différent de tous les maillots que j’ai portés auparavant », commente Fabio Borini lors de son lancement. Tu m’étonnes… Le maillot third noir, blanc et violet, est tout aussi discuté.
Suite à la fuite de ces designs plusieurs mois avant leur présentation, une pétition recueille plus de 4 000 signatures pour demander à l’équipementier de revoir sa copie. « Warrior Sports a encore le temps d’apporter des modifications à ces tenues hideuses avant que les supporters et les commerçants soient coincés avec ces atrocités, balance l’auteur. Nous comprenons que vous essayez d’être « branché » pour percer sur le marché. Nous comprenons que vous aimiez la « publicité agressive » et l’apparence, mais vous l’avez fait avec le mauvais club. S’il vous plaît, faites un effort. Ces images font honte au club, à son histoire, à ses supporters. »
Nous comprenons que vous aimiez la « publicité agressive » et l’apparence, mais vous l’avez fait avec le mauvais club.
Malheureusement pour les rétines, Warrior remet une pièce dans la machine la saison suivante avec un third bardé d’une diagonale à rayures rouges et noires. La maison mère New Balance reprend néanmoins les choses en main en 2015 avec des tuniques bien moins fantaisistes, plus acceptables aux yeux des puristes.
La fin de trois années placées sous le signe de la créativité et de l’originalité. La fin tout court de Warrior dans le milieu du foot, puisque cette même année, New Balance récupère aussi ses partenariats avec Porto (2014-2015), Stoke City (2014-2015) et le Séville FC (2013-2015).
Warrior est ainsi revenu à ses racines, et se concentre désormais uniquement sur le lacrosse et le hockey. Le petit ange est parti, mais de l’avis général, ce n’était pas trop tôt.