Histoire de maillots
Piola, un maillot brodé pour l’éternité
Le Musée de Coverciano détient un maillot historique de Silvio Piola, brodé à la main par sa maman.
Le 24 mars 1935, Silvio Piola inscrit un doublé face à l'Autriche pour son premier match avec le maillot de la Nazionale italienne. Pour ne pas oublier cet instant, sa maman décide de broder à la main le maillot.
Il y a des maillots qui ont une valeur historique incommensurable. Parce qu’ils racontent un moment, une page d’histoire, une époque. C’est le cas de ce maillot porté par Silvio Piola.
Dans la galaxie du football européen, Silvio Piola n’est pas n’importe qui. Il est le meilleur buteur de l’histoire du championnat italien, avec 274 buts (290, même, si l’on compte ceux inscrits lors du championnat d’après-guerre, en 1945), un score qui sera difficile à battre puisque le meilleur buteur encore en activité, Ciro Immobile, est à 200.
Il fut aussi champion du monde en 1938, et fait partie du cercle très fermé des joueurs à avoir inscrit au moins deux buts en finale de Coupe du monde. Il vante aussi un total de 30 buts en 34 sélections en équipe d’Italie, ce qui en fait le troisième meilleur buteur de la Nazionale, mais le numéro 1 en terme de moyenne de buts par match. Bref, Silvio Piola, c’est quelqu’un.
Dès qu’il commence à jouer au foot, au début des années 20, Silvio Piola fait part de son rêve à sa maman, Emilia Cavanna : il veut jouer pour l’équipe d’Italie. Piola débute sa carrière en 1930 à la Pro Vercelli, puis passe en 1934 à la Lazio. Il a donc tout juste 20 ans lorsque l’Italie remporte sa première Coupe du monde, et continue de rêver d’endosser un jour ce maillot bleu. Et ce jour va finalement arriver plus vite qu’il ne le pense.
En mars 1935, l’Italie doit affronter l’Autriche à Vienne à l’occasion de la Coupe Internationale, sorte d’ancêtre de l’Euro. A l’époque, l’Autriche est l’une des meilleures équipes du monde, on l’appelle même la « Wunderteam », l’équipe des miracles, avec son attaquant Matthias Sindelar, le « Mozart du football ».
Les Italiens avaient battu les Autrichiens en demi-finale du Mondial 1934, mais ils n’ont encore jamais gagné en terre autrichienne. À quelques encablures du match, coup dur pour le sélectionneur Vittoria Pozzo : son attaquant star, Giuseppe Meazza, se blesse. Il faut lui trouver d’urgence un remplaçant, et ce remplaçant est tout trouvé : ce sera Silvio Piola.
Piola va donc honorer sa première sélection au stade du Prater de Vienne, le 24 mars 1935. A l’époque, le maillot de l’Italie est on ne peut plus simple : bleu, avec l’écusson composé de la Croix de la Famille Royale de Savoie, la couronne et le faisceau de licteur (symbole politique datant de la Rome Antique et repris par le régime fasciste).
Pas de numéro floqué au dos, ils ne seront instaurés qu’en 1939. Et Piola va se transcender avec ce maillot dont il avait tant rêvé : face aux Autrichiens, pour sa première cape, il inscrit un incroyable doublé, qui permet à l’Italie de s’imposer 2-0. Une victoire historique, puisqu’à Vienne, l’Italie avait jusqu’ici collectionné quatre défaites et un nul.
À la fin du match, Piola demande à son sélectionneur le droit de ramener son maillot à la maison pour l’offrir à sa maman. Cette dernière, commerçante de tissus, a alors une idée pour figer cette liquette dans le temps et ne jamais oublier cet instant. Elle prend le maillot azzurro, l’apporte au quartier des brodeurs de Vercelli, et avec un fil d’or, elle fait broder sur celui-ci une page d’histoire du football italien.
Elle inscrit ainsi : « VIENNA, 24 marzo 1935, Austria 0 Italia 2, PIOLA à segnato entrambi goal. Prima partita di Piola in Nazionale A. » En français : « VIENNE, 24 mars 1935, Autriche 0 Italie 2, PIOLA a inscrit les deux buts. Premier match de Piola en Nazionale A ».
Petite curiosité pour les italophones : le « à segnato » à la place « ha segnato ». Ce n’est pas une faute d’orthographe, mais une forme archaïque, à l’époque tolérée, du verbe avoir.
A la fin de sa carrière, Piola a conservé ce maillot cousu par sa mère dans le tiroir d’une commode, dans sa chambre à coucher. Personne ne savait qu’il était là. C’est sa fille, Paola, qui l’a découvert après la mort de son papa, en 1996. Elle en a fait don au Musée du Football de Coverciano, où il trône désormais.
La Fédération italienne l’avait notamment mis en avant lors de la Fête des Mères, arguant que le geste d’Emilia Cavanna était « une sublime démonstration d‘amour d’une mère envers son fils.« Et de l’amour d’un joueur pour son maillot.